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28 Oct

Gilbert Fenouille, Imprimeur Linotypiste-typographe à Nice

Publié par Patrick Greiner-Calia  - Catégories :  #atelier d'artiste, #imprimerie typo, #estampe, #galerie virtuelle, #gravure taille-douce

Gilbert Fenouille, La Lino
Gilbert Fenouille, La Lino

Lorsque le client profane pousse la porte de LA LINO, 16 rue DEFLY à Nice, a-t-il conscience d’entrer dans l’une des dernières véritables, pures et respectables Imprimeries de France ? Pour le Sud - Est, en tout état de cause, c’est la dernière et la seule. Ce n’est ni un musée, ni une curiosité. Car ici, on travaille beaucoup.

Non pas à l’ancienne car cela n’aurait aucun sens. Ici, on imprime, au sens premier du terme. On imprime en relief sur le papier. On entre dans le papier. On presse l’encre sur ses fibres. On laisse une empreinte. Mais attention ! On doit caresser le papier et non pas le forcer, le fouler.

Chaque conducteur de presse à imprimer possède ses secrets. Il faut doser ces énormes pressions qui s’exercent sur un matériau si fragile, parfois si fin qu’il en devient translucide. Il faut savoir habiller la forme imprimante pour obtenir le résultat parfait. Un calage, une mise, tout cela demande beaucoup de patience et de perfectionnisme.

Ici, on travaille dans le plus pur respect de la tradition typographique, celle du savoir acquis après un long apprentissage et de l’expérience et des règles transmises par les anciens Maîtres Imprimeurs, depuis 1452, date de la première impression de La Bible appelée B42, c’est-à-dire à 42 lignes de texte, par Johannes GUTENBERG.

Il faut admirer l’habileté de ces mains qui font cliqueter, on pourrait même dire « chanter » la LINOTYPE, véritable monstre mécanique au fonctionnement mystérieux, compliqué mais magique, car de son cycle de travail, il accouchera en douceur d’une ligne de texte, fondue en un seul bloc, fin, fragile mais plein de sens.

Ces mains, qui fascinent par ce geste sûr, régulier, fulgurant, qui viennent pomper lettre par lettre, d’une casse posée sur la plan de travail jusqu’au composteur qui servira à calibrer la ligne de texte : un titre en caractère romain (droit) ou italique (incliné), en gras ou en maigre, un faire-part en anglaises (lettres enlacées, inclinées noblement, comme dessinées par une plume d’oie), une tête de lettre.

Ce ne sont pas des mains d’un technicien qui s’agitent par automatisme mais celles d’un Initié créant son œuvre. Vous venez de quitter, hypnotisés par ces gestes savants, le monde de l’artisanat pour celui de l’Art.

Voilà ! En poussant la porte de LA LINO, vous venez de changer de Monde. Vous entrez dans l’Atelier. Une odeur enivrante flotte dans l’air. Mélange de fragrances où se mêlent l’encre, le papier, le bois, les solvants, le plomb.

Alors, s’avance le Maître des lieux, Gilbert FENOUILLE, qui vous accueille d’un lumineux et franc sourire. Il vous prévient tout de suite : « je n’ai pas trop le temps… Beaucoup de travail à terminer…». Mais dès qu’il est question d’Imprimerie, de son Atelier, de ses Travaux, son regard pétille. Il devient intarissable. C’est un grand passionné passionnant !

Dans le combat de la Typographie contre l’Offset et le Numérique, Gilbert FENOUILLE n’a jamais changé de camp. Il est resté fidèle à ses racines.

Amer et mélancolique, il assiste au déclin de ce merveilleux métier. Il avait pressenti, dans les années 70, une véritable révolution, mais, in fine, c’est bien à la mort de l’Imprimerie des Anciens qu’il doit se résigner.

Tout d’abord l’impression offset qui a fait disparaître, dans les années 1950, la Lithographie (impression à plat sur pierre calcaire) découverte par Aloys SENEFELDER en 1796. Cent cinquante ans, balayés d’un coup, par une technique de production industrielle, de plus en plus robotisée, de plus en plus standardisée, de plus en plus mondialisée, où l’Homme n’apporte plus de savoir, mais devient un simple « presse-bouton » lobotomisé.

Ensuite, le Numérique a « tué » l’offset en cinquante ans de recherches, mises au point puis vulgarisation planétaire. Mais, non content d’avoir concurrencé l’offset, « la Puce » a vidé de sa substantifique moelle l’imprimerie Typographique qui s’est transmise cinq siècles durant au travers de ses codes, de ses us et coutumes, de ses combats (l’imprimerie étant synonyme de la transmission du Savoir, de la liberté de Penser et de liberté de la Presse).

Sournoisement, le Numérique a envahi la planète, a modifié nos modes de vie, nos habitudes, nos modes de communications. Bientôt notre identité.

Mais pas notre mémoire !

Et Gilbert FENOUILLE, heureux d’avoir connu cette époque de gloire, reconnaît que son métier lui a procuré cinquante ans de bonheur. Il ajoute même, un brin malicieux, qu’ « il serait prêt à recommencer. Pourquoi pas ? ».

En précisant bien que le point d’interrogation n’en est pas un, mais que c’est un « point d’ironie » (point d’interrogation basculé de gauche à droite) dont il s’empresse d’expliquer l’histoire et la signification :

A la fin du XIXème siècle, dans son ouvrage l’Ostensoir des ironies, Alcanter de Brahm (anagramme de Marcel BERNHARDT) fit apparaître le point d’ironie, dont il expliquait et justifiait la création : « Incontestablement, le point d’ironie faut à la ponctuation moderne. Et cette lacune astreint la plupart des hommes à développer de sérieux efforts en vue de l’aperception des différentes formes de chleuasme, d’antiphrase, de mimèse, de charientisme, de maïeutique, d’astéisme et d’humour répandues parmi les ouvrages de l’esprit, sauf à se priver de ce régal de lettrise. »

A part son créateur, personne n’a utilisé ce signe…

Sauf Gilbert FENOUILLE, Maître de LA LINO !

Gilbert Fenouille, Imprimeur Linotypiste-typographe à Nice
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